Voyez, today is such a good day. Non seulement je valide un nouveau semestre, mais en plus, je viens de pré commander le dernier album de Gorillaz (et accessoirement, je viens de le trouver sur le net en téléchargement illégal). Soyez donc sûr que mon prochain post y sera consacré. Mais pas aujourd’hui. Bon, je reprends. Saturday night was such a good night. J’ai profité de cette soirée pour calmer mon foie et aller au cinéma. Grand dilemme d’ailleurs. Je croise deux potes cinéphiles : l’un me dit, vas voir A Single Man, l’autre me dit vas voir – absolument – le dernier Scorsese : Shutter Island. Mon choix – cornélien, cela va sans dire – s’est finalement porté sur Shutter Island qui, malgré une bande annonce déplorable, avait tout de même quelque chose d’attirant. Peut-être était-ce le fait que pour une fois, ce grand cinéaste ne nous plongeais pas – une fois de plus – dans l’univers mafieux. Tout ça pour dire que le film, que la critique du monde qualifie de « Polar Mental », est un monument, et que la fin joue beaucoup dans cela, alors je préviens : je vais spoiler à mort. Donc si vous voulez préserver le suspens entier, évitez de lire ce qui suit.
Je ne sais pas par où commencer. Je dirais d’abord que le scénario n’est pas immensément original. Il est en réalité somme toute assez classique pour les canons du genre. Deux marshalls des Etats-Unis d’Amérique se rendent sur une île abritant un asile psychiatrique pour patients à haute dangerosité pour y mener une enquête suite à la disparation d’une des patientes. Un lieu angoissant, cela va sans dire. C’est là qu’entre en jeu l’immense talent de Scorsese, car c’est la mise en scène qui fait de ce film une œuvre cinématographique unique qui restera – je l’espère – dans les mémoires de beaucoup. D’entrée, les deux hommes sont perdus au milieu de l’immensité maritime insondable. Puis l’île apparaît, flanquée d’immenses falaises acérées, avec pour seul accès l’unique dock. Déjà, le piège apparaît. Puis les hommes armés arrivent, les portes vieillies s’ouvrent sur un fort lugubre hanté par l’ombre de ceux qui furent jadis des hommes. La folie imprègne chaque endroit, la mort habite le regard des patients. Pour couronner le tout, un ouragan se déchaîne sur l’île, plongeant dans le chaos cet endroit qui semblait déjà déserté par la raison. Ça, c’était pour l’ambiance, et soyez sur que, même si ce n’est pas Shining, je ne fais pas tellement d’emphase. Quant à Dicaprio, lui qui avait tendance à susciter en moi des envies de tabassages en règle depuis Titanic, je ne peux que saluer son immense performance.
Bref, le topo est fait. Mais la puissance de ce film réside avant tout dans la performance du réalisateur. Scorsese nous envoie dans la face toute la puissance de la folie, toute son horreur. Il manipule son spectateur pour le faire passer de l’autre côté du miroir, le mener là où il souhaite : à la frontière entre le réel et la chimère, entre la raison et la perdition. Il sonde les profondeurs la conscience, là où tout devient sombre et incertain. Rejet de la folie, ou rejet du réel? Le héros, Teddy Daniels, ou plutôt Adrew Laeddis, se retrouve happé par ce piège mortel que représente pour lui l’île, alors qu’en réalité, ce sont ses propres chimères, sa propre incohérence qui peu à peu l’enserrent et le confinent dans la folie. La première scène du film le montre en train de régurgiter son repas à bord du bateau. Dès l’origine, tout n’est que rejet, et plus particulièrement rejet de l’océan, symbole des profondeurs insondables de l’inconscient et de la mort de ses enfants, noyés par sa femme (mais cela, vous ne le saurez qu’à la toute fin du film). C’est d’ailleurs, dans les souvenirs qu’il s’est inventé, par le feu que sa femme meurt, à l’opposé de la réalité. Hanté par son passé et ses images terrifiantes, son enquête le pousse à retrouver Rachel Solando, une patiente accusée d’avoir noyé ses trois enfants. C’est en réalité son propre passé qu’il cherche à retrouver, la réalité perdue et niée par sa raison qui n’est pas capable d’assumer la responsabilité du drame. Le fantôme de sa femme l’avertit d’ailleurs qu’il doit faire un choix entre elle et Andrew Laeddis, anagramme de son propre nom. Il doit ainsi choisir entre la chimère qu’il s’est créé le préservant des horreurs de passé qui revivent durant son sommeil, et sa véritable identité, celle qui le ramènera à la raison.
Scorsese semble une fois de plus passionné par la violence. La violence infligée par ses proches et leurs actes, la violence qu’on s’inflige à soi-même, puis la violence infligée aux autres. Sans en avoir conscience, le héros est empli de cette violence, et est près à la déchaîner sur les hommes qui pourraient porter atteinte à l’illusion qu’il a tissé avec soin. A travers cette approche, Scorsese fait voler en éclat le mythe du héros, et le fait d’autant mieux qu’il persuade le spectateur durant la quasi totalité du film que l’inspecteur en est un. La scène du phare, où des expérimentations génétiques seraient pratiqués par les nazis, vient déchirer la toile du mensonge : les portes s’ouvrent sur des salles vides. C’est alors que le spectateur mesure la portée de l’illusion, et prend conscience d’avoir été entraîné par le réalisateur dans une impasse, de l’incohérence totale de l’enchaînement des évènements. Rien n’avait de sens, en réalité, mais personne ne se rendait alors compte que cette folie n’émanait pas de l’île mais bien du héros – ou antihéros – lui-même.
Le film se termine sur une scène terrible : Andrew Daniels, après être revenu à lui, a de nouveau sombré dans la folie. L’immense jeu de rôle orchestré par le psychiatre de la prison aboutit dans une impasse, les ténèbres ont à nouveau envahi l’âme de l’inspecteur qui n’aura pas réussi à trouver en lui la force d’affronter son passé. J’ai pu constater que dans différentes critiques, on dénonçait le kitch du film et son enchaînement qui se joue du spectateur. Mais le propre d’un grand film est justement de l’immerger entièrement dans l’atmosphère qu’il créé. Après Tetro de Francis Ford Coppola et ce film, les dinosaures signent leur retour haut la main. En sortant du ciné, qu’une seule envie : s’assoir, inspirer lentement, histoire de se sentir sain et fumer une clope (une Chester, ajoutera ma coblogueuse).
03/01/2010 at 14:35
Une Chester, ouais. N’ayant pas encore pris ma décision, ne m’en veux pas, mais je ne lis pas l’article.
Donc je peux pas valider.
Mais une chester, quand même.
03/01/2010 at 14:45
Pour le coup t’as vraiment spoiler à mort la fin. J’espère que ceux qui n’ont pas vu le film ont quitté cette page.
Ce film (grandiose) a de multiples interprétations (vas faire un tour sur le forum de allociné : http://www.allocine.fr/communaute/forum/message_gen_nofil=608917&cfilm=132039&refpersonne=&carticle=&refserie=&refmedia=.html).
La où tu te plantes, c’est qu’à la fin, andrew n’est pas retombé dans la folie.
Il y a une phrase importante : « Il vaut mieux mourrir en homme que vivre en monstre ». Laedis fait semblant d’avoir rechuté mais il n’en est rien. Il a compris que sa folie était cyclique, qu’elle revenait tous les 9 mois selon le doc. Il préfère donc se faire lobotomiser, plutot que de vivre avec ce double, et ces hallucinations.
A noter que cette phrase n’existe pas dans le livre original. Scorcese s’est permis une petite liberté qui en fait une fin plutôt ouverte.
Très bon article au passage!
03/01/2010 at 15:10
je te remercie. J’avais oublié ces derniers mots. je n’ai pas lu le livre, mais ton interprétation admet une faille : s’il est conscient de sa folie, c’est qu’il n’est pas encore retombé dans le cycle, et qu’il y a donc un espoir de rémission. S’il a rechuté dans la folie, il n’est alors pas assez lucide pour souhaiter la lobotomisation.
Je pense en réalité – peut-être – que s’il est lucide, il ne peut pas vivre avec sa culpabilité qui le transforme, à ses propres yeux, en monstre.
J’aime bien la comparaison avec le 6ème sens sur le topic. Sauf que le héros évolue dans un monde beaucoup plus fou et complexe.
03/01/2010 at 15:21
Oui je pense aussi qu’il est bien lucide, et vu le mal qu’il continue de causer autour de lui (violence sur georges noyce et le personnel) il choisit d’en finir.
C’est incroyable le nombre de personnes qui croient que le marschall n’est pas fou et qu’il s’est fait piégé.
Le détail qui tue est au début du film. Devant le portail, on demande à chuck et edward de remettre leurs flingues. Chuck a vraiment du mal à sortir le sien, comme s’il n’avait jamais touché une arme de sa vie.
Tu vas me dire que c’est un argument qui va dans le sens des 2 théories. Chuck peut etre le psy envoyé pour soigner laedis, ou un individu lambda envoyé pour piéger laedis.
Je suis convaincu qu’une grande partie n’est qu’hallucination. Meme l’ile est probablement une hallucination…
03/01/2010 at 18:14
métaphoriquement oui. Autre détail, lorsque la folle (la plus lucide), celle qui a tué son mari à coup de hache attend que CHuck soit allé lui chercher un verre d’eau pour dire à laeddis « Run »
03/01/2010 at 21:27
D’ailleurs tu le comprends comment ce « run »?
03/01/2010 at 21:37
😀 Bonne question. Je pense que, étant donné que laeddis a retrouvé une cohérence, au moins en apparence, la folle lui dit de quitter l’île pour retrouver une vie, que sinon, il est condamné à retomber dans le même schéma de folie indéfiniment, pour finalement se faire lobotomiser
03/13/2010 at 22:11
Bon. La fin est énorme, très bien jouée… Après, les indices sont trop semés dès le début avec, en plus, le silence soudain dès la deuxième minute lorsque Laeddis annonce avoir perdu ses cigarettes.
Après, on m’avait dit que je ne devinerais jamais la fin et que je devais bien réfléchir donc forcément j’ai tourné à plein régime et enchainé les h^ypothèses jusqu’à tenir le bon bout. Une demie heure de réflexion jusqu’à avoir une hypothèse vraie qui n’a été que confirmée tout le long du film. Même pas drôle.
Il est long d’ailleurs, ce film. Mais Di Caprio y est hallucinant.
03/14/2010 at 01:04
ouep, dicaprio envoie du pâté. La fin est plus facile à deviner si tu sais dès le début qu’il y a anguille sous roche 🙂
Mais je ne doutais pas de toi ^^
03/01/2010 at 14:48
mon lien marche pas : vas dans le topic « Explication de la fin du film »
03/01/2010 at 22:21
Bon, je ne suis pas totalement objectif car je voue un culte à Dennis Lehane. Principalement pour son personnage de Patrick Kenzie qui est, pour moi, l’un des héros les plus fascinants de la littérature américaine des 30 dernière années et fut l’un de mes sujets d’étude.
Bref, là où je suis gêné dans le film ce sont tous ces détails qui différent du roman. Le mystère de la disparition devrait être une vraie enquête avec un message-code qui diffère et qui poussera les marshalls à fouiller le cimetière. Du coup, là on se retrouve avec un film qui s’intéresse plus au personnage de Teddy Daniels, torturé et rempli de culpabilité.
De plus, la fin n’est pas aussi ouverte que dans le roman. A chaque fois que je relis le livre, mon point de vie diffère en fonction de l’état dans lequel je suis lors de ma lecture. Surtout quand on se souvient des « polémiques » qu’il y a eu lors de sa sortie (où certaines criaient à la supercherie littéraire).
Mais c’est aussi l’un des points forts du film. Je trouve que la dernière phrase prononcée par Dicaprio est magistrale, bien qu’absente du livre. Et elle permet également d’avoir une fin ouverte pour ceux qui ne connaissent pas l’oeuvre d’originale.
Malgré mes critiques de fanboy, le film reste très bon et l’un de mes Scorsese préférés.
Sinon bon article.
03/01/2010 at 22:33
J’avoue ne pas pouvoir contester ton point de vue n’ayant pas lu le livre. Mais il est vrai que le film est plus axé sur la folie de l’homme que sur l’enquête. Mais ça donne aussi au film une dimension universelle s’extrayant des canons du polar, et en ça je trouve que c’est une réussite
03/02/2010 at 15:19
au passage, après avoir discuté avec pas mal de gens qui ont visionné le film, je me rend compte que la fin du film fait l’objet d’un grand débat, et ça c’est une réussite.
Biensur ça n’égalera jamais la perplexité dans lquelle vous laisse Avalon à la fin 😀
03/02/2010 at 15:27
Sauf qu’Avalon je valide =)
03/02/2010 at 15:35
Normal :D, surout vu la musique qui accompagne la fin… magique
03/02/2010 at 18:33
Surtout vu le film en entier oui. ^^
Un chef d’oeuvre est un chef d’oeuvre dans son entièreté, sinon il n’en est pas un me semble-t-il.
03/02/2010 at 20:47
merde, on a deux Val différent sur le même forum xD
03/02/2010 at 09:09
Pourqoui, n’essayes tu pas de proposer tes critiques à différents journaux. Tes analyses et ton style méritent une audience beaucoup plus large et remplaceront très favorablement les critiques trop souvent publiées. Tu donnes envie de voir ce film.
03/02/2010 at 09:24
J’ai tué mon égo il y a de cela quelques années, et je préfère pas me faire trop d’illusions. Et puis je saurais pas comment m’y prendre en réalité ^^
03/02/2010 at 17:41
Ma mère est bon public mais elle n’a pas tort. Tu as du style, ton écriture est agréable et tes critiques pertinentes, qu’on adhère ou pas. Tu devrais y aller au culot et proposer tes papiers à quelques journaux. Après tout, qui ne tente rien n’a rien et ce n’est pas une question d’égo.